Lutte anti-racisme : origine du trauma, réponse de l’Eglise et la nouvelle génération

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La mort de Georges Floyd a eu un retentissement considérable ! Aujourd’hui je reçois pour un article Roxane, elle est psychologue clinicienne, chrétienne et noire 🙂 . Dans cet article elle nous parle des mécanismes du traumatisme mis en lumière par cette révolte mondiale contre le racisme. Elle nous donnera ensuite quelques pistes sur notre réponse en tant que chrétien. Puis elle finira avec quelques réflexions sur la nouvelle génération : parler à nos enfants de la diversité et les éduquer de façon intentionnelle afin qu’ils soient ouverts à la différence. Bonne lecture ! 

 Pourquoi ce traumatisme ?

C’est un fait historique bien connu, le continent américain, ainsi que l’arc antillais, a été découvert en 1492 par Christophe COLOMB. L’abolition de l’esclavage, fait moins connu, a été prononcée en 1848. Pendant ces (presque) 400 ans d’esclavage, on a assisté à une déshumanisation de l’Homme noir. La vie de l’Homme noir ne compte pas, elle vaut celle d’un animal, ou pire, d’un meuble. Cette vie est bafouée, vendue ou échangée contre quelques pièces d’un propriétaire à un autre. Cette déshumanisation n’avait qu’un but : exploiter des millions d’hommes et de femmes afin d’enrichir les européens.   

Du côté des blancs il y a eu une désinformation, étayée par des données pseudo-scientifiques mais aussi malheureusement par le clergé. La population africaine a donc été présentée comme « inférieure à la race blanche », sans âme, et en fait, faite pour être exploitée. Après tout, ils avaient l’habitude des travaux sous le soleil, les hommes semblaient bien plus forts et surtout ils n’étaient pas « civilisés ».  

La déshumanisation, ainsi que la violence de l’esclavage, ont engendré des séquelles directes et immédiates pour ses victimes : un état de stress permanent, une chute de l’estime de soi, une confusion identitaire et des conduites de soumission. La désinformation a engendré la hiérarchisation des «races » et donc un sentiment de supériorité de la «race blanches   ».  

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En psychologie, on dit qu’il y a traumatisme quand le sentiment de sécurité interne a été cassé. Il est évident que ce que ces hommes, ces femmes et ces enfants esclaves ont vécu (déracinement du pays, séparation avec la famille, morts violentes des proches, coups, viols etc) constituent un traumatisme majeur, et ce pendant plusieurs siècles. 

Il y a des choses qui se transmettent de génération en génération. Il existe ce qu’on appelle l’épigénétique : c’est comment des traits peuvent être acquis et même parfois transmis. C’est ce qui explique, malgré le fait que nous descendions tous d’Adam et Eve, que les humains n’aient pas le même aspect physique. Les humains se sont adaptés à leur environnement. C’est par exemple le cas avec les asiatiques, dont les yeux bridés seraient dus à une adaptation climatique datant de plusieurs dizaines de milliers d’années.  

Dans le cadre du trauma, on parle de trauma transgénérationnel. Ce n’est pas le trauma en lui-même qui est transmis (aucun noir ne fait des cauchemars où il se voit fouetter dans une plantation) mais la vulnérabilité émotionnelle ou la sensibilité au stress peuvent être transmises.  

Il est donc possible que pour certaines personnes, il y ait aussi une certaine insensibilité qui soit toujours là. L’officier n’a pas dit « crève sale nègre » alors qu’il maintenait son genou sur le cou de Georges Floyd. Mais il est resté insensible à sa douleur et à ses cris alors qu’il ne pouvait plus respirer.  

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Quand on regarde bien, entre 1848 et 2020 il n’y a que 172 ans. Et c’est peu comparé aux quatre siècles de déshumanisation et de désinformation.  

Attention, je ne dis pas que les blancs sont racistes de génération en génération. Mais il existe dans l’inconscient collectif, un sentiment de supériorité et un certain nombre de préjugés qui découlent directement de ce passé esclavagiste et colonialiste. Par exemple, on va se moquer de l’accent africain ou du créole. Rappelez-vous, le noir n’est pas civilisé, il ne maîtrise pas la langue. Un autre préjugé fréquent est celui selon lequel le noir est bruyant ou ne sait pas se tenir (rappelez-vous son côté animal).  

Du côté des noirs, il en résulte des siècles plus tard un sentiment d’infériorité, et un besoin plus ou moins inconscient de s’intégrer. Certains se blanchissent la peau, les cheveux crépus sont rarement assumés, les personnes aux peaux plus foncées sont mises de côté. Certains voient dans le mariage mixte la seule possibilité d’ascension sociale… 

Il y a tout de même une bonne nouvelle. Depuis environ dix ans, on assiste à un « chamboulement » identitaire, on assiste à la levée d’une génération « noire et fière », avec justement le retour des cheveux crépus, le fait d’assumer qu’on est des descendants d’esclaves ou afro descendants et le retour des vêtements en pagne ou en wax. 

On le voit beaucoup sur les réseaux sociaux, notamment avec les hashtags «#blackiseautiful » ou « #noiretfier ». C’est une véritable réappropriation de sa négritude.  C’est particulièrement vrai pour les antillais, qui ont longtemps nié cette partie de leur histoire. 

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Aujourd’hui, le fait que ce genre de bavure policière soit filmée et diffusée sur les réseaux sociaux révèle à quel point les effets néfastes de la relation dominant dominé sont encore présents et nombreux. La mort de Georges Floyd n’est pas un cas isolé. Il y a eu des cas avant, mais aussi après malheureusement.  

Des études montrent que le fait d’être confrontés de manière répétée à de la violence, même à travers un écran, peut développer chez certaines personnes des symptômes similaires à celui d’un état de stress post-traumatique (cauchemars, évitement, troubles du sommeil etc). Quelques-uns des mes amis ont préféré faire un break des réseaux sociaux car ils n’en dormaient plus de voir toutes ces images.   

Donc aujourd’hui en 2020, alors qu’on est en train de réparer des siècles de sentiment d’infériorité et de confusion identitaire, voir ces images, cela fait remonter et je dirai même exploser ce trauma, cette sensibilité émotionnelle acquise dont j’ai parlé plus tôt. Mais maintenant, le peuple noir dit ça suffit. Et deuxième bonne nouvelle, il est soutenu par une grande partie de la population blanche !

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Quelle peut être notre réponse en tant que chrétien ?

Je pense qu’on s’est tous dit que ce n’était pas normal et on espère que cela s’améliore, que le monde aille mieux.  La bible dit dans Romains 12v15 : «  Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent ; pleurez avec ceux qui pleurent. » Nous pleurons avec ceux qui pleurent quand une injustice a lieu.  

Mais je pense qu’on ne doit pas se contenter de montrer une certaine empathie, on doit aussi se positionner et agir pour la justice. Un de mes passages préférés, et qui a souvent été cité dans nos églises, est celui de Michée 6v8: On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien; Et ce que l’Éternel demande de toi, C’est que tu pratiques la justice, Que tu aimes la miséricorde, Et que tu marches humblement avec ton Dieu. 

Un autre verset à propos : Proverbes 31v8 et 9 : Ouvre ta bouche pour le muet, Pour la cause de tous les délaissés. Ouvre ta bouche, juge avec justice, Et défends le malheureux et l’indigent. 

Nous chrétiens, cherchons constamment à connaître la volonté de Dieu. Alors pourquoi ne pas l’appliquer quand elle est écrite noir sur blanc  🙂 ?

Un exemple remarquable est celui du « bon samaritain ». Par compassion envers l’homme blessé, presque mort, il a perdu de son temps (car il a certainement dû faire un détour pour aller à l’auberge), de ses biens (il a puisé dans ses réserves personnelles d’huile et de vin pour le soigner), de son argent (donné à l’aubergiste), de son confort (il a dû marcher, son âne portant l’homme blessé).  Il ne s’est pas limité à la pensée ; il a agi.  

Jésus nous invite à agir comme cet homme bon : « Va, et toi fais de même ». 
 
Dans la Bible, le jeune garçon qui a amené aux disciples son panier de pains et de poissons (certainement destiné à sa propre famille) pouvait se dire « les besoins pour cette foule sont bien trop grands, mon panier de nourriture est ridicule ». Pourtant c’est à partir de ce maigre repas que Jésus a nourri les 5000. Ne négligeons pas les petits actes du quotidien : signer une pétition, écouter un ami victime de racisme, participer à une manifestation, reprendre quelqu’un après une blague raciste.  

 Pour une nouvelle génération anti-raciste ! 

Cette actualité est peut-être la meilleure période pour sensibiliser nos enfants à cette question du racisme, de diversité et de tolérance. 

Il est normal que les enfants réfléchissent en termes de j’aime ou je n’aime pas. On a tendance à cet âge à préférer ce qui nous ressemble. L’enfant peut exprimer un rejet de l’autre à cause de sa couleur de peau, mais aussi de sa taille, du fait qu’il porte des lunettes etc. Ils peuvent aussi avoir des questions ou des réflexions qui peuvent nous paraître à nous adultes racistes mais elles ne sont pas volontairement blessantes. Un enfant peut faire le raccourci, « cet homme est noir donc il est sale » ; « je n’aime pas la couleur marron, ou tout ce qui est sombre, donc je n’aime pas les noirs ».

Un jour, alors que je faisais la queue à une caisse, une petite fille a dit derrière moi : « Maman, pourquoi les cheveux de la dame sont comme ça ? ». Elle a naïvement (et ostentatoirement) exprimé son étonnement devant mes cheveux crépus.    Nous devons faire attention à ne pas projeter les comportements ou propos racistes des adultes sur les enfants. Ils n’ont souvent pas conscience de leurs paroles.  

Néanmoins, il est important de dire aux enfants que malgré nos différences d’apparence, nous sommes tous humains et que rejeter quelqu’un à cause de sa couleur est blessant, que c’est même interdit par la loi. Le rejet de l’autre, et de l’homme noir a eu pour conséquence l’esclavage. Personne n’aime être forcé, les enfants encore moins !  

De plus, on peut rajouter que Jésus aime TOUS les hommes et il nous voit tous comme sa création. Il y a des outils (chrétiens ou pas), des livres qui parlent de la diversité. Pour n’en citer qu’un : La très bonne idée de Dieu de Trillia Newbell. Ce livre parle du fait que Dieu nous a créés tous différents mais que nous sommes tous à son image.

la très bonne idée de Dieu Trilla Newbell  ellecroit.com 

 Un enfant n’est pas raciste de nature mais en revanche il peut être influencé par des discours racistes, véhiculés dans des dessins animés ou des livres.  

Il faut contrer les stéréotypes en exposant son enfant à la diversité en réel mais aussi dans les livres et dans les jouets. La Barbie noire ce n’est pas que la Barbie « africaine » en tenue traditionnelle, on peut avoir une Barbie noire vétérinaire, maîtresse ou policière ! L’industrie du jouet a évolué et on trouve  heureusement de plus en plus de héros « de couleurs ». Alors je me permettrai un petit conseil aux parents blancs : il ne faut plus prendre un livre avec un personnage noir en se disant « trop bien, les noirs sont représentés, bon et bien,  je le laisse pour un noir et je choisis le livre avec l’enfant blanc ». Il en va de même pour les personnages de séries ou de films que vous visionnez. C’est tout cela, l’exposition à la diversité !

En conclusion, ne laissons pas la lutte anti racisme être seulement la cause du moment. Cela demande un effort personnel et continuel de la part de tous… Même si le rêve serait que ce problème soit résolu en quelques mois !

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Roxane est mariée avec Henoc , ils sont parents d’un petit Ethan. En tant que psychologue, elle travaille depuis plusieurs années auprès d’enfants, d’adolescents et de leurs parents.