Jean Christophe Bieselaar auteur de Vivre le couple interculturel

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Interview de Jean Christophe Bieselaar, auteur de Viv(r)e le couple interculturel, livre dont j’avais parlé ici. Ce fut une discussion passionnante sur un sujet qui nous touche tous de près ou de loin, que vous soyez un couple interculturel ou que vous en connaissiez un ! 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?  

Je m’appelle Jean Christophe Bieselaar, actuellement aumônier des hôpitaux à l’assistance publique des hôpitaux de Paris, je suis aussi pasteur associé de paroisse à l’église américaine de Paris et également pasteur référent dans une église évangélique, l’église évangélique de l’alliance chinoise de Paris. J’ai été pasteur à New York pendant 5 ans où j’ai été impliqué dans une église interculturelle et  pasteur pendant 10 ans à l’église protestante évangélique de la défense (église interculturelle). J’ai fait un doctorat au King’s Collège université de Londres sur le thème de la problématique de l’interculturalité au sein du couple dans l’église.

Tu viens d’une famille multiculturelle c’est à dire ?

Du côté de ma mère, ma famille est française, mais du coté de mon père on a diverses origines. Mon nom de famille est flamant,  mon grand père était hollandais et s’est marié à une roumaine qui était elle-même moitié roumaine moitié arménienne. Aujourd’hui je suis moi même marié à mon épouse qui est japonaise, nous sommes mariés depuis 21 ans.

Comment et où as-tu rencontré ta femme ?

Mon mariage a eu lieu comme finalement une bonne partie des mariages interculturels : j’étais étudiant, elle était étudiante étrangère en France et nous étions dans le même établissement. C’est là que j’ai rencontré cette charmante étrangère !

JC Bieselaar

Pourquoi écrire un livre sur le sujet ?

L’origine de ce livre vient de ma pratique pastorale. J’ai toujours servi dans des églises interculturelles en tant que pasteur, cela s’est présenté finalement toujours presque comme ça. Je ne pense pas que cela soit un hasard évidement. A chaque fois que je devais faire la préparation d’un mariage interculturel, je prenais un manuel typique de préparation au mariage, parmi les nombreux manuels bibliques, qui sont très bien et très importants. Mais au fur et à mesure des discussions avec les couples, je me heurtais parfois à des difficultés, des incompréhensions culturelles, en tous cas le couple soulevait des questions culturelles auxquelles je n’étais pas préparé. Par exemple, la question de la dot, la question du mariage traditionnel, le mariage à la coutume, la loyauté envers ses parents, comment vivre ce « quitter ses parents et s’attacher à sa femme » alors que dans des cultures la loyauté envers ses parents ne s’arrête pas le jour du mariage.

Les manuels classiques ne fournissaient pas vraiment de pistes et de réponses. J’ai cherché des ressources de préparations au mariage pour des couples interculturels et je n’en ai pas trouvé ni dans le monde anglophone ni dans le monde francophone. Puisque j’accompagnais ce genre de couple, je me suis dit qu’il fallait que j’approfondisse les questions parce que je ne pouvais pas être pris au dépourvu à chaque fois comme ça pour ce type de question là. J’ai contacté quelques universités qui avaient des départements de théologie, j’ai cherché des directeurs de thèses qui étaient intéressés par cette question d’accompagnement de couples interculturels dans le cadre de l’église. Il y a eu plusieurs réponses notamment celle du King’s Collège université de Londres. Donc en résumé cela vient de ma pratique pastorale, je ne trouvais pas de choses adaptées alors que pourtant le mariage interculturel était une réalité bien présente dans les églises protestantes et évangéliques.

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Comment s’est passée la rédaction du livre ?

J’ai découvert énormément de choses au travers de ma recherche puisque le livre vient de ma recherche doctorale. Ma thèse est interdisciplinaire : sociologie, psychologie et théologie. J’ai découvert énormément de choses mais la plus importante a été de balayer les préjugés, de faire le ménage aux préjugés, par exemple dire qu’un mariage interculturel sur deux ne fonctionne pas ou va se terminer par un divorce. Scientifiquement, sociologiquement c’est faux pourtant ce sont des choses qu’on entend et que l’on a entendu même dans des églises également. C’est sur que le mariage interculturel nécessite plus de travail. Il est vrai qu’accueillir quelqu’un d’une culture étrangère c’est véritablement un accueil qui se fait tout au long de la vie. Une relation interculturelle est quand même au départ déséquilibrée, il y a un coût pour l’étranger qui va vivre dans le pays de son conjoint, qui va devoir s’intégrer, mourir sur une terre étrangère, ce n’est pas toujours facile à accepter pour certains. Dans la rédaction du livre, ce qui a été passionnant c’est de rencontrer des couples, certains que je connaissais bien et certains moins. Ces témoignages venaient confirmer les recherches théoriques que j’avais faites.

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Le mariage interculturel, est-ce une richesse ? Pourquoi ?

Le mariage interculturel c’est une difficulté en plus… mais c’est aussi une richesse dans le sens, qu’être dans une relation avec quelqu’un de différent, qui a une façon de faire différente, qui a une façon de voir les choses différente, qui a une façon de comprendre les choses différente que la mienne, cela va m’enrichir. Cela va être aussi un défi parce que parfois tout cela va se confronter, les façons de faire, les façons de voir, les façons de penser vont se confronter mais ces confrontations là sont souvent des opportunités pour se dire «  chez moi, dans ma famille on fait comme ça, on a toujours fait comme ça, mais on ne s’est jamais posé la question pourquoi est ce qu’on fait comme ça ». Quand quelqu’un d’aussi proche rentre dans ma vie et me dit « et bien non chez moi on fait ça comme ça » et bien je me dis finalement « pourquoi pas ! » Parfois cette confrontation de différence fait peur aux jeunes couples dans les premières années de mariage. Dans la première année toutes les différences sont enrichissantes mais ensuite les différences vont se confronter. Ces confrontations n’ont pas à faire peur mais elles peuvent être des richesses, un moyen de réfléchir à son couple de façon créative.

Je me souviens d’un couple, une asiatique et un africain. Leur différence était un véritable défi pour leur famille  et lors de la préparation au mariage, ils se sont rendus compte qu’ils ne pourraient certainement jamais vivre dans le pays de l’un ou de l’autre, que s’ils le faisaient ça allait affecter très très clairement leur couple parce que le regard social serait difficile et poserait un poids énorme sur leur couple. Finalement je leur ai demandé ce qu’ils allaient faire puisque leur différence culturelle était tellement énorme qu’ils n’envisageaient de vivre que dans un pays tiers, sur quoi allaient-ils baser leur couple ? Ils m’ont répondu ceci : «  On va le bâtir sur la foi, notre couple ne sera ni trop asiatique ni trop africain mais on va devoir créer une sorte de 3e culture hybride, métissée, encore plus que d’autres couples interculturels mais le dénominateur commun à ce que l’on fera sera la foi, notre foi en Jésus-Christ ».

En fait quand on est prêt à confronter nos différences c’est à ce moment là que le mariage devient une richesse mais le problème c’est qu’on est pas toujours prêt, ni prêt à changer d’avis !

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Le mariage interculturel est-il plus facile parce que chrétien ?

Oui sans aucun doute. Le mariage interculturel c’est un mariage avec quelqu’un d’étranger ou  avec quelqu’un qui a un autre arrière plan, dont les parents sont peut être étrangers mais qui est né en France. Ils ont baigné dans la culture française mais ils ont été influencés à la maison quand même par une autre culture, par des valeurs culturelles.

On peut aussi avoir un mariage mixte dans le sens inter-religieux. En fait à chaque différence on ajoute un défi et des difficultés importantes qui vont nécessiter de travailler le couple au quotidien. La différence des religions  est quelque chose pour moi qui creuse l’écart encore plus, parce la foi est une chose commune sur laquelle on peut venir construire ensemble et parfois même revenir ensemble au cas où il y a eu des conflits, des disputes. La notion de pardon est une notion qui est spécifique au christianisme. Je suis pardonné parce que quelqu’un a donné sa vie pour moi, c’est quelque chose dont je me rappelle dans mon couple. Il faut que je pardonne à mon prochain, à mon épouse, car Dieu lui même m’a pardonné. Comment pourrais-je ne pas pardonner ? Ce n’est pas quelque chose de philosophique mais cela vient de ma foi chrétienne. De même qu’on est créé à l’image de Dieu c’est important car il n’y a pas de notion culturelle derrière, pas de notion de couleur, donc en quoi moi je devrais regarder les choses par rapport à la culture, à la couleur de la peau ou autre chose. Est-ce que quand je me dispute avec mon épouse, parfois pour des raisons culturelles ou pas, est ce que je réalise que parfois les mots durs que je vais dire et qui vont dépasser ma pensée, sont dits à quelqu’un qui est créé à l’image de Dieu ? La foi chrétienne commune est quelque chose d’extrêmement important qui permet de couvrir beaucoup de difficultés.

Comment va t-on élever les enfants par exemple ? Sur la base de quelles valeurs ? Quand on n’est pas de la même religion, ça va poser des problèmes. Un enfant prend un peu de la religion du père, un peu de la religion de la mère et finalement il va avoir quelque chose de métissé au niveau religieux ? On va faire quoi à Noel, à Pâques, on va aller où ? Il va être baptisé, il va être circoncis ? Souvent les couples pensent avoir réfléchi à ces questions, mais n’ont pas réalisé tous les défis que cela va créer dans l’éducation religieuse. Quand la foi est commune c’est plus simple à vivre pour un enfant. Et lorsqu’un couple pense avoir trouvé un terrain d’entente, tout va être à refaire quand il y a un réveil religieux. Une maladie par exemple, qui ramène un mari dans sa religion d’origine alors qu’il n’avait jamais pratiqué auparavant.

Je rencontre des couples de tout horizon et je leur dis à chaque fois que c’est vraiment bien d’avoir une foi commune.

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Quels points conseilles tu d’aborder avant le mariage ?

Quelques questions à se poser sans ordre d’importance précis :

  • Quel va être votre rapport avec votre famille d’origine, avec vos parents ? Est ce que vos parents vont être très présents et à quel point ? Est ce que cela peut être un problème pour vous ? Quand on se marie, on quitte sa famille mais dans certaines cultures ce n’est pas du tout le cas, les parents s’attendent à ce que les enfants prennent soin d’eux jusqu’à la fin de leur vie, on ne met pas ses parents en maison de retraite. Quelle relation vous attendez-vous à avoir avec votre famille d’origine ? Quelle relation la famille s’attend à avoir avec vous ? La famille élargie ?
  • Le rapport à l’argent. Comment l’argent va être géré au niveau du couple ? Qui va gérer l’argent et pourquoi ? Est-ce que la famille s’attend à être soutenue financièrement ? Il faudra peut être payer la scolarité d’un petit frère, payer les médicaments d’une tante, une petite soeur va venir s’installer dans la famille pour venir faire ses études, il faudra l’accueillir etc. Certains ne le réalisent pas avant le mariage quand ils viennent d’une culture individualiste. Il y a aussi le budget à prévoir pour retourner régulièrement au pays, il faut prendre conscience très tôt de cette réalité financière. Un billet d’avion pour l’Asie par exemple c’est très cher… Ces voyages permettent d’avoir une bouffée d’oxygène parfois, des bouffées d’air culturelles, de reprendre contact avec la famille, la culture, la nourriture. Avec l’arrivée des enfants, le coût de ces voyages va s’accentuer énormément aussi.
  • La question des rôles de l’homme et de la femme. Dans la culture de l’autre qu’est-ce que fait l’homme ? Qu’est-ce que fait la femme ? Parfois on pense qu’on s’est marié à une personne qui va avoir le rôle de la femme ou de l’homme dans sa propre culture alors que justement l’autre personne veut fuir le rôle que lui imposait sa culture par exemple. Il faut connaître la culture de l’autre : qu’est ce que la femme, l’homme fait dans cette culture ? Et qu’est ce que l’autre compte faire réellement ? A quoi l’autre s’attend ?

Comment peux tu intervenir dans les églises ou ailleurs sur ce thème ? 

J’interviens en fonction des besoins. Dans des petits séminaires, des réunions au niveau de l’église locale, je me déplace dans toute la France, à l’étranger. Cela peut être un projet de plusieurs églises. Je me mets aussi au service des pastorales locales auprès de qui je peux intervenir et les aider à réfléchir à l’accompagnement pastoral qu’ils offrent dans le cadre des préparations au mariage, ou des suivis des mariages. Cela peut être un groupe de couples interculturels qui organisent une soirée par exemple. On peut faire une réunion qui peut être aussi l’occasion d’inviter des couples interculturels qui ne fréquentent pas d’églises. Je m’adapte !

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Une anecdote à raconter ?

Je donne dans mon livre un exemple d’une personne africaine mais c’est le cas aussi pour une personne asiatique notamment en Corée ou au Japon : le regard que la société a sur les femmes, qui est celui de « prostituée » ou fille facile ». Dans mon livre je cite cette insulte « Qui es-tu toi qui t’es prostituée avec un blanc ». C’est vraiment violent pour quelqu’un qui veut revenir au pays, veut revoir sa famille, de voir que dans son pays elle est devenue une véritable étrangère, ce n’est pas si simple. Un autre exemple, aujourd’hui une personne mariée depuis plus de 20 ans à un français, pour renouveler sa carte de résidence de 10 ans doit aller tous les 2 mois à la préfecture pour demander un récépissé ! Sans rentrer dans la politique, ce n’est pas le but, mais quand on est dans un mariage culturel, la personne qui s’est intégrée se dit finalement qu’elle n’est pas intégrée, qu’on la traite comme un primo arrivant. Si tu parles couramment français, que tu es mariée depuis plus de 20 ans mais que tu as gardé ta nationalité sans prendre la française, et bien tu es traitée comme un primo arrivant… Il peut y avoir  les regards au pays comme si tu étais une étrangère et les démarches en France comme si tu étais aussi une étrangère, cela peut toucher à la fin, à force d’être répété. Autre exemple en rentrant de voyage ce même couple devra faire la queue dans deux files différentes : l’un pour les passeports français et l’autre conjoint dans celle pour les passeports étrangers…

Un conseil/message pour des femmes qui vont se marier ou sont mariées à un homme d’une autre culture ?

Restez ouvertes toute votre vie, ouvertes aux changements toute votre vie parce que les défis auxquels vous avez fait face et les richesses que vous avez connu au début de votre relation vont être différents de ceux que vous allez connaître lorsque vous allez avoir un enfant ou des enfants et qui sont encore différents quand vous serez plus âgées et lorsque les enfants seront partis de la maison.

Choisissez bien les personnes qui peuvent vous aider et qui peuvent vous comprendre dans cette démarche de couple interculturel. Vos familles veulent toujours votre bien mais parfois vos familles ont leur façon culturelle de voir les choses et ne vont pas forcement comprendre que les choses doivent se faire différemment dans votre couple. Faites attention aux personnes ressources que vous allez choisir, choisissez des personnes ressources qui peuvent vraiment vous comprendre, vraiment comprendre vos difficultés de couple interculturel, qui peuvent vous soutenir, qui peuvent vous écouter sans donner trop vite des conseils qui viennent du fond du cœur mais qui ne vont pas faire mouche parce que ne correspondant pas à votre réalité ou seraient trop simplistes.

Merci à Jean Christophe Bieselaar pour cet échange passionnant, on lui souhaite une bonne continuation dans son ministère surtout qu’il n’y a pas vraiment en France de ministère dédié à cette thématique.

Vous pouvez retrouver la recension de son livre par ici Vivre le couple interculturel.

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